Le quadruple champion du monde Alain Prost a gardé une affection toute particulière pour Winfield Racing School et pas seulement parce qu’elle lui a mis le pied à l’étrier. Retour sur quelques mois qui auront marqué à jamais la vie de l’icône française des Grands Prix.
Sacré Champion de France de karting en 1974, Alain Prost se voit remettre une bourse d’études par la fédération française de karting alors appelée GNK (Groupement National du Karting). Libre à lui de décider vers quelle école de pilotage il veut se destiner, et c’est vers Winfield qu’il se dirige. Bien que Magny-Cours soit plus proche de Lorette près de Saint-Chamond où il réside, il opte pour le site du Paul Ricard. « Parce qu’il y avait plus chance qu’il fasse beau dans le Var et que, dès lors, la finale que j’allais éventuellement disputer soit moins aléatoire. », raconte celui qui pensait déjà à tout. « L’image de l’école était très forte et représentait pour moi un passage obligatoire : tous les pilotes français de haut niveau étaient passés par-là à quelques exceptions près et c’était la seule solution pour moi de courir. »
Lui qui ne sait pas trop ce qui l’attend une fois poussées les grilles de l’école est tout de suite séduit. « Je garde un souvenir vivace des premiers tours de roue dans une monoplace. », explique-t-il les yeux encore pétillants. « Même si je venais du karting, l’air, le bruit, les roues, ça n’avait rien à voir. C’était assez impressionnant. Il y avait aussi l’école en elle-même où l’on apprenait quelque chose. Ce n’était pas juste une question de mettre quelqu’un dans une monoplace. Simon De Lautour et Antoine Raffaëlli étaient très à l’écoute, très attentifs. Tu voyais tout de suite au comportement de l’élève quel était son caractère et sa philosophie. Moi, sans fausse modestie, j’étais assez humble en dépit de ce que j’avais réussi en karting. Tout ce que je pouvais emmagasiner, apprendre, écouter de ce gens qui avaient de l’expérience était important. C’était une question de mettre tout en place. »
Au fil des stages se crée une complicité avec Antoine Raffaëlli qui comprend très vite que le jeune Prost a quelque chose de différent, de spécial même. « J’avais une manière différente de freiner et d’entrer dans les virages qui me venait du karting mais pas seulement, se rappelle Alain. Quelque chose de personnel qu’il fallait théoriser. »
Alain Prost lors de la remise des prix du Pilote Elf-Winfield (1975)
« Sous tous les aspects s’était quelqu’un d’hors-norme, se souvient Antoine Raffaëlli avec précision. Il m’a fait des trucs incroyables. Lorsque je lui reprochais de ne pas faire ce que nous préconisions, il argumentait. J’avais eu des mots avec lui toute l’année car il n’était pas d’accord. J’étais embêté car ce qu’il disait était vrai. In fine, le chrono ne ment jamais. Avec Simon on se partageait le circuit, il surveillait une partie et moi l’autre. Du coup, Prost conduisait différemment devant moi ou Simon avec qui ce n’était pas la peine de discuter. »
C’est ainsi que le futur quadruple champion du monde se retrouva au volant d’une Estafette Renault pour perfectionner ses passages de vitesse sous le regard inquisiteur de Raffaëlli et De Lautour. « Ce n’est pas que je ne savais pas faire le talon-pointe et descendre les rapports, c’est que je gagnais du temps en tombant de la 5 à la 3 sans passer par la 4, s’amuse encore aujourd’hui le quadruple champion du monde en racontant l’anecdote. Comme ça pouvait m’arriver que je fasse un petit peu craquer la boîte de temps en temps, ils m’avaient mis dans l’Estafette pour me montrer comment on faisait le double débrayage. Après, j’ai fait comme ils m’ont dit pendant les cours mais, lors de la finale, j’ai fait à ma manière. Je crois qu’ils n’ont jamais été dupes… »
Une finale pour laquelle il ne laissa rien au hasard comme en témoigne le même Raffaëlli. « Pour les demi-finales, la moitié des élèves était convoquée le samedi matin et l’autre moitié le dimanche matin. Avant, j’avais comme toujours étalonné les voitures pour voir quelles étaient les plus rapides. J’avais donc établi un coefficient. La plus rapide était la #4 Rouge. Si un élève avec la moins bonne voiture s’approchait des chronos de l’élève avec la meilleure, on appliquait le coefficient. Prost faisait partie des convoqués du samedi à 8h00. Ce jour, neuf élèves arrivent sur les dix. Il en manque un : Prost ! Il finit par arriver avec 15 minutes de retard au volant d’une R16 pourrie. Il est désolé, il a crevé et il n’y avait pas de roue de secours dans la vénérable automobile. Je lui dis qu’il ne roule pas, et qu’il faut qu’il revienne le dimanche. Le lendemain. J’ai mes onze élèves. La piste est froide tout comme les pneus et je dis à Prost de commencer puisqu’il est arrivé en retard la veille. Alain ne dit rien et se dirige directement vers la #4 Rouge ! Je me suis dit sur le coup qu’il avait de la chance. Après coup, il m’avouera être arrivé sciemment en retard pour assister aux essais de ses concurrents et voir la voiture qui réalisait les meilleurs temps. Déjà, on aurait pu l’appeler le Professeur. Il en avait dans la caboche. »
La finale, l’icône française des Grands Prix s’en souvient parfaitement au point d’en ressentir le stress presque cinquante ans plus tard. « Même si je savais que j’avais le niveau pour la gagner, il y avait cette pression. Gagner c’était l’espoir d’une carrière. Perdre c’était synonyme de retour à la maison. Sans doute définitif. Je me souviens très bien que Jeanette Chabaud, responsable presse de Elf m’avait interviewé la veille et m’avait demandé ce que j’allais faire si je perdais le lendemain. Je lui avais répondu que ce n’était pas une option, que je devais gagner. »
Alain Prost / Formule Renault Martini MK20 / Monza 1977
Aujourd’hui, près d’un demi-siècle plus tard, Alain Prost n’a rien oublié de Winfied et voue une admiration sans borne à Mike et Richard Knight pour ce qu’ils ont mis en place à l’époque. « On était 250/300 candidats pour 5 places en finale et un seul lauréat. C’était très dur. C’était très stricte mais ça te préparait aux difficultés de ce métier, et celles de la vie en général. L’enseignement dispensé dépassait le cadre de la piste. Winfield apprenait le pilotage et inculquait des valeurs. » Valeurs qui sont restées inscrites dans l’ADN de la marque en dépit de l’évolution du sport. « Heureusement que l’école Winfield actuelle perpétue ces valeurs, bien que le contexte soit très différent, conclut le quadruple Champion du Monde. Grâce à une équipe motivée et ambitieuse, elle a su négocier le virage périlleux du 21e siècle. Tenter de refaire à l’identique aurait été voué à l’échec sans le support d’un puissant partenaire comme Elf et, surtout, parce qu’il y avait d’autres défis à relever. Winfield « moderne » répond aux besoins de son temps, à ceux d’un sport dont le coût a explosé et qui s’est terriblement complexifié. »
Crédits photos : ©Bernard Asset / Jean-François Galeron